L’appel du feu

On m’a toujours appris qu’il ne fallait pas jouer avec le feu. Mais j’étais de ces enfants qui n’écoutaient pas vraiment ce qu’on me disait…

Qu’y a t-il de plus excitant que de braver un interdit, tout en sachant que c’est, en plus, dangereux ?

Pour autant, je ne fais pas ici l’apologie de la désobéissance, et je n’invite personne à se mettre volontairement en danger. Vous aurez même droit à la fin de cet article à un rappel sur les règles de sécurité de l’art dont je vais vous parler.

Car oui, manipuler le feu peut être un art. Un art dangereux, certes, et peut être que cela ajoute à sa beauté. Qui n’a jamais eu les yeux écarquillés devant une personne qui crache le feu ?

Spectacles de feu: de l’autre coté des flammes

Je vous propose de vous en parler “de l’autre coté de la caméra”. Pendant plusieurs années, j’ai été artiste de feu au sein d’une association médiévale que j’ai eu la chance de présider: les Tabards de Feu.

La journée, nous jouions des pièces de théâtre ou les enfants rencontraient Nains, Elfes, Faunes, Mages, Déesses, nous chantions et nous dansions. Mais la nuit, nous faisions des spectacles de feu.

Alors que ce n’était au départ qu’une infime partie de notre travail (nous étions surtout tourné vers le théâtre), les spectacles de feu ont finis par prendre une part majoritaire dans nos créations.

Le public raffole des prestations pyrotechniques. Les enfants en particulier.

Mais il ne suffit pas de lancer quelques flammes. La troupe dont je faisais partie (comme la quasi totalité des troupes proposant de la pyrotechnie) concevait des spectacles entiers mêlant cracheurs de feu, bâtons de feu (aussi appelés staff), bolas, théâtre, et surtout chorégraphies.

Faire du feu est une chose, le chorégraphier en est une autre.

Faire du feu en toute sécurité nécessite une préparation rigoureuse et minutieuse. Mais le faire dans une chorégraphie est encore plus délicat. La préparation est alors particulièrement longue.

J’ai souvenir que nous travaillions jusqu’à 9 mois pour préparer un spectacle de feu de 20 minutes ! Nous étions une trentaine d’artistes sur scène, mêlant danseurs, artistes de feu, chanteurs… Le spectacle était composé de plusieurs tableaux, avec une dizaine d’artistes sur chaque, sauf bien sur sur le tableau final, où nous étions généralement tous sur scène.

En coulisse, tout devait être réglé au millimètre, mais même avec 9 mois de préparation, il y avait des imprévus à gérer sur le moment. Des agrès de feu qui ne s’enflamment pas, ou qui cassent. C’est une véritable fourmillère qui se met en place. Le spectateur ne voit que la partie émergée de l’iceberg.

Multi-disciplinaire

Il m’arrivait de commencer le spectacle dans une tenue, puis de partir en coulisse me changer, allumer mes torches, jouer un tableau sur scène, revenir en coulisse et préparer d’autres agrès de feu pour le tableau suivant, et ressortir.

Dans la troupe, nous avions souvent des impératifs comme celui la. Par conséquent, même l’emplacement des agrès de feu était calculé pour optimiser au maximum la préparation de chacun. Et pendant que l’on était pas sur scène, on travaillait à cette logistique, chacun notre tour en coulisse.

C’est un monde de l’ombre, un monde entier. On croit que le plus difficile se joue sur scène, mais en réalité non, il se joue pendant 9 mois, et le soir même, il se joue en coulisse.

Un spectacle complet prend des mois de préparation.

Sur scène, on fait des figures de feu avec des bâtons, avec des éventails, des robes de feu même. On a eu un échassier qui avait créer une balance de feu, des comédiens en costume, avec des flammes sur les mains. On trouvait toujours de quoi innover. Innover parce qu’on aimait montrer notre travail aux spectateurs, et que l’on aimait montrer quelque chose de différent.

La récompense d’un artiste

Vous allez peut être penser que c’est un peu cliché que de vous écrire cela, mais la récompense d’un artiste elle passe surtout par la reconnaissance du public. Vous avez le droit de ne pas me croire, mais personne dans la troupe n’a travaillé d’arrache pied pendant 9 mois, pour faire un spectacle de 20 minutes simplement pour un cachet qui lui permettra de payer le trajet avec toutes les voitures. Nous étions une association de loi 1901, et nous n’étions donc pas rémunérés. L’argent n’était donc pas notre motivation. Notre motivation, c’était primo de faire une chose qui nous passionne, à savoir du feu, du spectacle, du théâtre, et secundo de le partager avec un public qui aime voir cette discipline

Quand le spectacle est terminé, que tout les artistes sont sur scène, et que le public applaudit, c’est un sentiment que je ne peux même pas vous décrire. Rien qu’à l’évoquer, il me provoque des frissons. il FAUT être sur scène et vivre ce moment pour comprendre tout le sens qu’il donne à ce travail fait en amont, et pendant le spectacle. Le public applaudit la performance, mais la performance, comme je vous le disais, n’est pas que visuelle, la préparation et la logistique en font partie, surtout dans des disciplines aussi dangereuses que le feu.

On a les yeux trempés parce que tous ces mois de préparation viennent de s’achever. C’est un bébé que l’on a tous porté, que l’on a présenté aux gens, et que les gens ont adopté.

C’est un peu ça le spectacle dans sa grande généralité: c’est une discipline qui est crée, qui est mise en gestation et qui, le jour venu, est donnée au public, qui à son tour, la fera vivre en la partageant avec les autres. C’est le public qui décide de la vie d’un spectacle, en l’applaudissant, ou en le sanctionnant.

Et aujourd’hui ?

J’ai quitté cette troupe, et le spectacle plus globalement lorsque j’ai préparé mes concours. Le spectacle a continué sans moi, car même si tout artiste est unique et a son style, il y a suffisamment d’artistes en France (et heureusement) pour que la relève soit prise. J’ai arrêté de cracher le feu, je n’ai plus manipulé le bâton, ni les bolas.

Mais le feu et la scène sont des amants tenaces.

Je voulais reprendre les répétitions, mais avait laissé cette idée dans un coin de ma tête sans lui porter plus d’attention. Peut être que certains moments sont plus propices également. Ce week end, je suis allé voir des amis jouer à Selestat à l’occasion d’un évènement médiéval. Ils sont artistes au sein de la Compagnie Cheval Spectacle, que je connais également, pour avoir déjà travaillé avec eux, et pour eux.

Le show de feu de Cheval Spectacle, Samedi 9 juillet à Selestat

En les voyant jouer sur scène, j’ai retrouvé ces moments que j’avais moi-même vécu (avec eux d’ailleurs) lorsque nous nous produisions sur scène. Cette effervescence, cette concentration.

Cela m’a laissé très nostalgique. La scène et le feu m’appellent encore aujourd’hui. C’est ainsi que j’ai ressorti mes agrès de feu, et que je vais reprendre les entrainements. La ville d’ENSISHEIM où je réside m’a accordé un site pour m’entrainer au feu.

Par où (re)commencer ?

Je vais reprendre les événements de type médiéval, car c’est dans cette branche que les artistes de feu ont vraiment une place toute faite, mais il me plairait bien de sortir des sentiers battus. Réaliser des chorégraphies de feu sur des musiques très contemporaines peut donner des résultats très interessants, et il y a déjà des musiques qui m’inspirent, et sur lesquelles je voudrais travailler.

L’art du spectacle est aussi l’art de se cacher derrière un personnage. Il me faudra peut être trouver un nom. Voila qui tombe bien, je reprendrais bien celui que j’ai porté pendant plusieurs années sur scène: Aïkaran.

Ce personnage était à l’origine un Elfe, issu d’un monde qui a connu de très, très grandes heures de gloires, que j’ai été particulièrement fier de vivre avec les autres artistes de la troupe. La symbolique est parfaite à mes yeux. A chaque fois que je commencerais un show, j’aurais toujours une pensée pour eux.

Oui, c’est bien moi à droite. Totalement grimé, maquillé, perruqué !

La sécurité avant tout !

On ne joue pas avec le feu, on le manipule.

Mais même manipuler le feu est une pratique très dangereuse si elle n’est pas faite en prenant toutes les précautions. Même en faisant cela, on n’est pas à l’abri du danger.
Le fondateur des Tabards nous disait, et, alors que j’étais président de la troupe, je relayait le message: faire du feu comporte deux risques majeurs: le danger inhérent au feu, et l’habitude. Lorsqu’on a l’habitude de manipuler, on a tendance à baisser sa vigilance, et c’est la que l’accident se produit. Il ne faut jamais baisser sa vigilance lorsqu’on manipule. 

Nous pratiquions le feu uniquement après avoir appris et maîtrisé les gestes et les règles de sécurité. Ne reproduisez pas ce que vous voyez sur les images de cet article chez vous. Si vous êtes amateurs ou professionnel dans ce domaine, veillez à ce que les enfants n’accèdent pas à votre matériel.